D’aussi loin que tu te souviennes tu n’as jamais pu rentrer dans les rangs. Exclu, raillé, à part, ce monde semblait ne pas vouloir de toi. Malgré toutes tes tentatives pour essayer de t’intégrer il n’y a jamais eu de moment où tu as vraiment connu la paix.
Avec les années cette exclusion s’est transformée en solitude pesante. Bien sur tu as un travail, des amis et il t’arrive même parfois de partager tes draps avec des partenaires de passage mais au fond de toi tu n’y peux rien, tu ne te sens pas à ta place. C’est comme si tout était gris, comme si tu mangeais constamment des plats trop fades, comme si tu étais destiné à ne connaître que la médiocrité et l’à peu près. A la question « comment vas-tu ? » tu réponds toujours «ça va » en essayant de mimer un semblant de sourire sur ton visage terni par l’ennui.
Dans ton monde sans couleur pas de place pour le plaisir solitaire, même ça tu n’y trouves aucun intérêt, tous ces corps dénudés qui se mélangent dans un brouhaha grotesque ne provoquent aucun désir, aucune étincelle dans ton regard.
Avec le temps tu t’es habitué à cette monotonie et tu es entré dans une routine lassante dans laquelle au moins, tu te dis pour te rassurer, tu ne souffres pas.
Un jour alors que tu t’apprêtais à vivre une journée grise de plus tu décides de tuer le temps en navigant sur les réseaux. Au milieu de tes centres d’intérêts habituels, tu vois alors passer un article parlant de domination féminine. Intrigué par le terme tu décides de le lire et cliques donc sur le lien : une femme à l’air sévère témoigne de son quotidien avec ceux qu’elle appelle vulgairement ses « soumis ». Défilent alors sous tes yeux des mots qui étaient jusqu’ici inconnus pour toi : fétichisme, kink, paddle, femdom, findom, chasteté, larbinage … Tu croules sous les informations et ingurgites tous les éléments que tu as à ta portée, tu es pris dans un flot de nouveauté enivrant et, pour la première fois de ta vie, tu es si passionné par ce que tu lis que tu n’arrives pas à t’arrêter. Les couleurs, les femmes, les tenues, tout te captive, tout te semble chaud, tout a du sens.
Tu décides donc d’approfondir tes connaissances et d’aller encore plus loin, tu vas sur des forums spécialisés, des sites pour adultes, tu te rends dans des sex-shops, à des conventions, tu n’en finis plus d’accumuler des informations sur cet univers captivant. Au hasard d’un mot clé tapé sur Google tu tombes un jour sur le site d’une dominatrice Parisienne qui se définit comme étant « arrogante et gâtée ». D’abord amusé par les qualificatifs choisis tu comprends vite que les termes sont appropriés en découvrant son univers : belle, un regard profond, hautaine, couverte de bijoux et de perles, cette femme semble plus que jamais savoir pourquoi elle domine les hommes. Un lien de contact apparaît en gros sous tes yeux et après avoir réfléchi huit secondes ton corps te devance et clique sur « envoyer un formulaire ». Le bloc blanc vide devant toi te fait paniquer, que dire à une femme d’une telle importance ? « Bonjour Madame, ma vie est nulle que pourriez vous faire pour m’aider ? », « Bonjour Madame je n’ai aucune expérience dans la femdom mais je souhaiterais vibrer à vos côtés? ». Chaque idée qui te vient en tête te paraît pire que celle d’avant. Après avoir longuement hésité tu décides de dire simplement la vérité et écris un long texte que tu enverras sous l’objet « besoin de couleurs ». Les jours passent, les semaines défilent et le temps semble s’être comme arrêté depuis que tu l’as contactée. Ta vie qui était déjà bien ennuyeuse de base te paraît encore plus terne qu’à son habitude. Après deux mois sans nouvelle alors que tu avais presque abandonné l’espoir d’obtenir une réponse tu reçois sur ton téléphone une notification indiquant que tu as un mail en attente. Tu ouvres ta boîte mail et ton cœur fait un bond dans ta poitrine : elle t’a répondu. La belle dominatrice dit accepter de te rencontrer ce samedi. Ce samedi ? Mais ce samedi c’est dans deux jours ! Comment vas tu pouvoir te préparer ? Que vas-tu lui dire ? Quel cadeau vas-tu pouvoir lui acheter ? Comment vas-tu t’habiller ? Toutes ces questions qui se bousculent dans ta tête finissent par te rendre fou. Tu décides, sous le regard ahuri de tes collègues, de quitter le travail plus tôt pour rentrer chez toi et réfléchir calmement à toutes ces possibilités.
Lorsque le rendez vous arrive tu es prêt : tu as mis une veste de costume grise et un tee shirt blanc sur ton jean préféré pour donner l’impression de t’être soigné sans trop en faire, tu as acheté des fleurs rose pale pour lui tendre à ton arrivée et tu as appris par cœur des salutations distinguées. Tout va bien, tout est prêt, tout va bien se passer. A quatorze heures pile tu sonnes à l’interphone d’un appartement du septième arrondissement droit comme un I et attends en silence. La porte s’ouvre automatiquement et tu devines une voix qui t’indique le troisième étage. Tu traverses le petit patio pavé et monte nerveusement les grandes marches en bois qui te conduisent devant une porte rouge entrouverte. Tu pousses la porte du bout des doigts et découvre devant toi celle qui occupe toutes tes pensées : grande brune majestueuse, elle porte un déshabillé en soie et des bas en nylon tenus par un porte jarretelles qui épouse parfaitement sa taille. D’une voix suave elle te dit alors « Tu es prêt à découvrir ce à quoi ressemble le monde lorsqu’il n’est pas gris ? ». Bouleversé par la situation tu déposes le bouquet par terre et te jette à ses pieds en serrant sa jambe contre ton cœur. Elle pose délicatement sa main sur ta tête et te laisse profiter de ce moment hors du temps.
Là, prosterné au sol blotti contre ses jambes, le cœur serré et le corps soumis à sa volonté, là, pour la première fois de ta vie tu es à ta place.
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