Tu ajustes les manches de ta chemise, tu remets en place ta montre en argent et d’un geste calculé tu attrapes ton verre d’alcool cheap en esquissant un sourire que tu penses ravageur. Tu connais le synopsis par coeur, tu l’as souvent répété.
Tu attends là assis au bar, certain que « ton charme » finira par opérer, tu en es certain, ça fonctionne toujours. Tu es persuadé de connaître tous les secrets de ce monde, d’avoir réussi dans la vie, d’être plutôt bel homme… Qu’est ce qui ferait que l’on puisse te dire non ?
Au loin tu aperçois une femme. Tu la distingues mal à travers la foule mais tu te sens attiré alors tu te déplaces pour arriver plus près d’elle. Elle a l’air très grande, brune avec des reflets rouges qui brillent sous les projecteurs. Elle incarne tout ce dont tu rêves, ce symbole un peu classique de la femme fatale en robe moulante et talons aiguilles.
Tu t’approches d’elle en prenant un air qui se veut mystérieux. La première chose qui te vexe c’est qu’à aucun moment elle ne pose les yeux sur toi. Tu as beau te pavaner et essayer d’attirer son attention par tous les moyens c’est comme si tu étais invisible. Mais tu es un conquérant non ? Alors tu continues ton numéro.
Après plus de dix tentatives vaines tu sors l’unique arme encore en ta possession : une liasse de billets. Tu l’agites comme si ta vie en dépendait. D’une façon si ridicule que les personnes autour de toi commencent à te dévisager mais tu t’en moques, tu la veux.
Alors que tu poursuis ton numéro de cirque elle lève les yeux vers toi et d’un claquement de doigts sec te dit de venir. Tu te surprends à presque courir pour la rejoindre et te retrouve debout devant sa table, penaud, ne sachant plus quoi dire.
Elle te jauge, sourit légèrement et dit simplement « assis ». Avant que tu n’aies pu rétorquer quoi que ce soit, elle interpelle la serveuse, commande un gin au gingembre, pioche dans ta liasse de billets, paye sa commande et laisse un pourboire démesuré. Un peu troublé, tu te remets en place sur ton tabouret. Tu réalises alors que oui, tu as obéi, inconsciemment mais tu as obéi, tu es assis.
Bien décidé à laver cet affront tu ouvres la bouche et dis « alors comment tu t’appelles ? » La femme aux cheveux rouges esquisse un sourire en avalant une gorgée. Elle te montre alors un doigt et dit « tu as fait une erreur, à la deuxième je partirai. » Partagé entre ton ego meurtri et l’envie désespérée qu’elle reste tu réponds alors « tu veux un autre verre ? »
La brune incendiaire fait tourner les glaçons dans son verre en riant, te montre deux doigts, se lève et chuchote à ton oreille « perdu ». Tu as à peine le temps de te retourner qu’elle a disparu dans la foule, laissant sur son passage l’odeur de son parfum sucré.
Tu restes là, planté sur ton tabouret à regarder la trace de rouge à lèvres sur le verre encore humide et les quelques billets en vrac posés sur la table.
Elle monte dans un taxi, réajuste sa robe, remet en place son collier de perles et d’un geste calculé passe sa main dans ses cheveux. Elle connait le synopsis par coeur, elle l’a souvent répété.
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